« Je suis un auteur publié, je dispose d’archives illustrant et documentant ma carrière littéraire et je souhaite qu’elles rejoignent une institution de conservation publique ».
Tout d’abord, que sont les archives littéraires ? Le Code du patrimoine définit les archives comme « un ensemble de documents quels que soient leur date, leur forme, leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». Dans le champ du littéraire spécifiquement, ce que peut recouvrir le terme d’archives est très vaste : manuscrits, tapuscrits, brouillons, notes de recherche, correspondances, coupures de presse, photographies, documents administratifs ou financiers, contrats d’édition, livres dédicacés, objets, etc., tant qu’ils ont été générés dans le cadre d’une activité de production littéraire. Ces archives peuvent être physiques et/ou numériques. Nous sommes ici dans le domaine des archives privées.
A ce titre, plusieurs types d’établissements publics sont susceptibles de conserver des archives privées (d’individus, d’associations, d’entreprises…) à caractère littéraire : services d’archives, mais aussi bibliothèques municipales, intercommunales, universitaires, etc. ou des institutions nationales, comme la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque Jacques Doucet ou l’IMEC.
Transmettre vos archives à une institution publique présente un intérêt certain : elles pourront faire l’objet de recherches, de mises en valeur auprès du public (conférences, exposition, numérisation avec votre accord) et vous aurez la garantie de leur conservation pérenne auprès d’autres collections littéraires. Cela évitera tout risque de dispersion ou d’éparpillement de ces documents lors de la succession, et constituera une certaine reconnaissance institutionnelle de votre travail, désormais patrimonialisé.
En privilégiant une transmission à établissement local, implanté dans un territoire auquel vous êtes lié, plutôt que national, peut représenter une plus-value en termes de valorisation. Plusieurs bibliothèques du Grand Est portent le nom d’un fonds d’archives littéraires emblématique qu’elles conservent : Marcel Arland à Langres, Bernard Dimey à Nogent, Paul Verlaine à Metz ou encore Roger Bichelberger à Forbach.
Quelques points de vigilance :
-Le respect de la vie privée des personnes pourra limiter l’accès du public à certains documents potentiellement sensibles, notamment les correspondances, journaux intimes, photographies, enregistrements sonores ou audiovisuels… Des périodes de réserve, durant lesquelles les documents concernés ne seront pas consultables, sont définies de manière à protéger l’intimité des personnes. Si les délais de communicabilité fixés par le Code du patrimoine ne s’appliquent légalement qu’aux archives publiques, ils peuvent néanmoins servir de référence pour les archives privées (délais d’incommunicabilité des archives publiques : http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/PDFs/General/delais-com-archives.pdf).
Ce droit s’éteint au décès de la personne concernée.
-Le transfert de propriété de ces supports est décorrélé des droits de propriété intellectuels, immatériels, qui sont attachés à leurs contenus avant de tomber dans le domaine public. Lorsqu’un service public acquiert des manuscrits ou des archives privées renfermant des œuvres de l’esprit, il dispose uniquement de la propriété matérielle des documents ; sauf disposition explicite telle qu’un contrat de cession de droits, il n’acquiert pas les droits patrimoniaux associés aux œuvres (droit d’exploitation commerciale, droits de reproduction, notamment par la numérisation, droit d’exposition).
-Si vos archives contiennent des inédits : le support renfermant une œuvre inédite peut être consulté en salle de lecture, la communication à des fins de recherche au sein d’une institution de conservation n’étant pas considérée comme une divulgation. En revanche, toute reproduction de l’œuvre – y compris un très court passage – nécessite l’accord préalable de l’auteur ou de ses ayants droit, en vertu du droit moral.
-Selon la modalité choisie pour transmettre vos archives, vous pourrez inclure les conditions de votre choix pour la consultation des documents et leur réutilisation.
Plusieurs options s’offrent à vous, ou aux ayants droit, pour transmettre ces archives :
L’acquisition des documents par l’institution fait l’objet d’une transaction financière.
Le Code Civil indique que les dons, donations et legs constituent des « libéralités » : acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. Il ne peut être fait de libéralités qu’entre vifs ou par testament.
Elles concernent les documents dont la propriété est établie et avérée.
Elles peuvent être assorties de charges et de conditions voulues par le donateur ou le testateur. Cela peut être des charges liées à la conservation (par exemple exiger que l’intégralité d’un don soit conservé au même endroit), un souhait que le don soit catalogué dans un délai donné, ou fasse l’objet d’une exposition ou d’une valorisation sous une quelconque forme, des exigences sur les conditions de mise à disposition du public ou d’exposition des documents, ou de leur prêt à d’autres institutions, etc.
Une bibliothèque, un service d’archives, un musée, une association etc. peut refuser un don si les charges et conditions excèdent sa capacité de gestion et si les dons proposés n’entrent pas dans le cadre de sa politique d’acquisition patrimoniale.
Le donateur ou le légateur peut refuser que son nom apparaissent dans la notice de catalogue public du document.
Une fois les documents d’archives privées entrés dans les collections publiques par don, donation ou legs, ils deviennent inaliénables : ils ne peuvent être ni donnés, ni détruits, ni vendus, sauf si l’acte, la convention ou le testament l’autorise explicitement. C’est pour cela qu’une institution préfèrera procéder à des tris, si elle l’estime nécessaire, avant d’acter le transfert de propriété.
À l’exception des dépôts, les manuscrits et les archives privées conservés dans les bibliothèques publiques appartiennent, en raison de leur caractère unique, aux collections patrimoniales publiques. De ce fait, ces documents sont légalement imprescriptibles, inaliénables et insaisissables.
-Le don manuel
Il s’agit d’une catégorie spécifique de donation qui consiste à remettre un bien mobilier (livre, tableau…) de la main à la main, sans acte notarié. C’est la forme la plus simple.
Le don manuel à des institutions doit faire a minima l’objet d’une lettre d’intention (électronique ou physique) du donateur décrivant l’objet de son don et d’une confirmation écrite du donataire entérinant l’acceptation du don pour éviter plus tard tout litige avec des ayants droit. Cela acte l’entrée du don dans les collections publiques.
Suivant l’importance du don, et/ou des conditions spécifiques liées au don ou au fonctionnement de l’institution, des actes administratifs peuvent venir se rajouter à des échanges de courrier : décision ou délibération municipale, arrêté, convention de don. La convention peut venir préciser par exemple les conditions d’exploitation des droits de propriété intellectuelle éventuellement attachés à l’œuvre (droits d’exposition, de reproduction/numérisation…).
-La donation
Il s’agit de l’acte par lequel le donateur transfère de son vivant et gratuitement la propriété d’un bien à un donataire. A l’inverse d’un simple don manuel, les choses sont ici formalisées par la signature d’un acte notarié entre les deux parties. L’acte doit mentionner la valeur estimative de la donation. C’est un acte authentique passé devant notaire qui permet de garantir et de prouver juridiquement le transfert total de propriété et la valeur du bien. C’est pourquoi la donation est à privilégier pour les documents importants, à forte valeur patrimoniale et dans les situations complexes (succession difficile par exemple).
-Le legs
Le legs est une disposition contenue dans un testament par laquelle le testateur lègue à un légataire tout ou partie de ses biens à son décès. Le Code général des collectivités territoriales autorise une collectivité à recevoir des legs. Le responsable légal de la collectivité (maire, président de l’intercommunalité, etc.) est chargé de passer dans les mêmes formes les actes de vente, échange, partage, acceptation de don, de donation ou de legs. Il peut en outre par délégation de l’organe exécutif de la collectivité (conseil municipal ou départemental par exemple) accepter les dons ou legs qui ne sont grevés ni de charges ni de conditions.
Le dépôt consiste à ce que le déposant (personne physique ou morale) confie la conservation matérielle et la gestion de son bien à un dépositaire (une bibliothèque ou un service d’archives par exemple) à titre temporaire et révocable et sans transfert de propriété.
Le dépôt fait peser sur la collectivité des charges financières (espace de stockage aux normes, gestion, ressources humaines pour le traitement matériel de conservation ou de signalement) sans garantie que les collections resteront dans l’établissement. C’est pour cette raison que beaucoup de collectivités refusent les dépôts, et que le ministère de la Culture les déconseille fortement, sauf à titre exceptionnel.
Il est important d’établir une convention entre le déposant et la collectivité dépositaire afin d’y préciser les frais pris en charge par chacun. L’établissement dépositaire peut demander au déposant une participation financière aux frais de conservation (estimé à 10 à 15€ TTC par an et par mètre linéaire), ou le remboursement par le déposant des frais exceptionnels (par exemple de restauration) que la collectivité aurait engagés, en cas de retrait. Il est possible de transformer le dépôt en don.
La dation a été instaurée par la loi du 31 décembre 1968 à l’initiative d’André Malraux. Elle permet à un contribuable d’acquitter en nature, par la remise à l’Etat d’œuvres et de documents « à haute valeur artistique ou historique », des droits de succession, des droits de mutation à titre gratuit entre vifs, du droit de partage et depuis 2018 de l’impôt sur la fortune immobilière. Si elle est acceptée, l’œuvre devient propriété de l’Etat, et peut faire l’objet d’un dépôt dans une bibliothèque territoriale (ce qui reste rare).
Quelle que soit l’option retenue, l’établissement qui acceptera de recevoir vos documents, avec l’appui de son service juridique, pourra vous indiquer, lors des prises de contact et des échanges préalables, la marche à suivre propre à leur fonctionnement.