Natif d’Eschentzwiller (Haut-Rhin) à proximité de Mulhouse dans le sud de l’Alsace, René Ehni étudie à Mulhouse avant de « monter » à Paris pour, selon ses mots, « sortir du trou ». A vingt ans, il entre à l’école de théâtre de la rue Blanche. Figurant à la Comédie française, il « joue » dans des roman-photo, pose pour des publicités, etc.
Puis c’est la guerre d’Algérie, période traumatique qui hantera sa vie et son œuvre littéraire (voir notamment Algérie-roman, Denoël, 2002). Après deux ans et demi de guerre, il s’éloigne à Rome et se lie avec les écrivains Elsa Morante, Alberto Moravia, les cinéastes Pasolini et Franco Zefirelli, l’actrice Laura Betti, etc. puis retourne à Paris, dans le groupe des Temps modernes (du nom de la revue fondée après-guerre par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir). De cette époque, il conserve de tumultueuses amitiés (Hector Bianciotti, Jean-Louis Bory, Maurice Béjart, Christian Bourgois, etc.).
Il travaille dans un centre dramatique avant d’être assistant de Maurice Béjart à Bruxelles, mais c’est avec un roman, La Gloire du vaurien (publié en 1964 par Christian Bourgois, alors directeur des éditions Julliard) qu’il entre en littérature – encouragé en cela par Simone de Beauvoir – et conquiert une soudaine et insolente célébrité littéraire. Surnommé à la rentrée 1964 la «bombe Julliard», le livre qui met en scène les tribulations d’un jeune homme (double de l’auteur), jouisseur invétéré «délicieusement pourri » entre Munich, Capri et Myconos, connaît en effet un succès retentissant. Sa verve pamphlétaire et iconoclaste annonce Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers (1971) et beaucoup d’autres.
L’année 1968 voit la publication d’un second roman, Ensuite, nous fûmes à Palmyre, chez Gallimard – en soi un signe de reconnaissance littéraire – et celle de la pièce de théâtre Que ferez-vous en novembre ? (Christian Bourgois, 1968) montée en 1967 et qui rencontre un succès critique inattendu, consacrant Ehni comme auteur dramatique. Christian Bourgois, l’éditeur de Boris Vian, d’Alain Robbe-Grillet ou encore de Tolkien en France, sera en quelque sorte le mentor d’Ehni envers qui il témoignera une rare fidélité. Il publie ses autres pièces de théâtre (L’Amie Rose, 1970, création au Théâtre national de Strasbourg en 1974 ; Super-positions ; Eugénie Kopronime, 1970 ; Jocaste, 1976, création Théâtre national de Chaillot l’année précédente), mais aussi nombre de livres relativement inclassables entre farce (Pintades, 1974, pastiche jubilatoire du Paludes de Gide ), roman (Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers, 1971), auto-biographie (Côme, confession générale, 1981 ; Le voyage en Belgique, 1988 ; Apnée, autobiographie, 2008) et essai polémique (Quand nous dansions sur la table, 2000). Plusieurs de ces ouvrages sont d’ailleurs publiés au format « poche » chez 10/18, collection populaire que dirige parallèlement C. Bourgois entre 1968 et 1992.
Le microcosme littéraire, culturel et intellectuel parisien, ses codes, impostures et faux-semblants sont régulièrement la cible de l’ironie mordante d’Ehni dans ses écrits, à la fois fasciné et irrité par ce milieu au jeu duquel il s’est pris mais dans lequel il est insoluble. S’il est à la mode (celui qui joue un temps le dandy parisien écrit parallèlement des pièces de théâtre pour la télévision et Radio France), Ehni passe aussi pour un provocateur qui crache dans la soupe, régulièrement taxé d’enfant terrible des lettres françaises… En 1973 il rompt d’ailleurs avec sa vie parisienne pour retourner vers ses racines (tout à la fois, selon lui, alsaciennes, juives et tziganes). On le voit militer en Alsace contre le nucléaire, le canal à grand gabarit et pour les langues régionales (Ehni avait écrit dès 1972 une pièce en alsacien pour le Théâtre alsacien de Mulhouse), témoignant d’une forme nouvelle d’engagement aux côtés de son ami le médecin Louis Schittly (co-fondateur de Médecins sans frontières). Ils signent ensemble La Raison lunatique : Roman du pays, publié en 1978 par Gallimard. Les deux défenseurs du Sundgau chantent la paysannerie en péril, « zonent » ensemble dans les Balkans et se convertissent ensemble vers 1980 à la religion orthodoxe.
Après le retour au pays natal, la Crète devient en 1991 sa nouvelle patrie. Au café-épicerie du petit village de Plaka il achète régulièrement des cahiers (souvent bleus de la marque « Super ») que jour après jour il noircit de fulgurances poétiques et polémiques, de réflexions spirituelles et de récits personnels, de considérations politiques, historiques et civilisationnelles sur le devenir de l’Occident. Il envoie de nombreux cahiers à ses amis, à Dominique, l’épouse de Christian Bourgois, à Bernard Reumaux, etc., leur laissant le soin d’apprécier ce qui pourrait faire un livre, malgré l’aspect textuel souvent déroutant et peu exploitable sur le plan éditorial. Christian Bourgois, fidèle à sa philosophie du «livre inadmissible», publie néanmoins le scandaleux Quand nous dansions sur la table, suivi de Lettre à Dominique «comme si c’était le premier roman d’un jeune auteur», tandis que Bernard Reumaux publie Vert-de-gris. Traité autobiographique (1994), Venez, enfants de la patrie ! (1998) et Chantefable (2006) qui s’apparentent à des essais. Apnée, le dernier livre de René-Nicolas Ehni (publié en 2008) est l’occasion d’un retour sur son cheminement – tant littéraire que géographique et spirituel – et un hommage à Christian Bourgois son ami et éditeur.
ROMANS, ESSAIS :
-La Gloire du vaurien (1964) : se procurer cet ouvrage
–Ensuite, nous fûmes à Palmyre (1968) : se procurer cet ouvrage
–Babylone, vous y étiez, nue parmi les bananiers (1971) : se procurer cet ouvrage
-[avec Louis Schittly] La raison lunatique : roman du pays (1978)
–Côme, confession générale : La Gloire du vaurien tome2 (1981)
–Le voyage en Belgique (1988)
–Vert-de-gris. Traité autobiographique (1994) : consulter des extraits sur Gallica
–Venez, enfants de la patrie ! (1998) : consulter des extraits sur Gallica
–Algérie-roman (2002)
–Apnée (2008) : se procurer cet ouvrage
THEATRE :
–Que ferez-vous en novembre ? (1968) : se procurer cet ouvrage / consulter des extraits sur Gallica
–Super-positions (1970)
–L’amie Rose, drame villageois (1970)
–Jocaste : Folie bergère (1976)
Les archives littéraires et personnelles de René-Nicolas Ehni sont conservées depuis 2010 parmi les collections patrimoniales de la bibliothèque municipales de Mulhouse. Les documents étaient précédemment conservés pour une partie chez René-Nicolas Ehni en Crète, pour l’autre au domicile de Louis Schittly à Bernwiller dans le Sundgau (département du Haut-Rhin).
Elles représentent environ 22 mètres linéaires, soit près de 6000 documents de toute nature (manuscrits et tapuscrits, carnets et journaux intimes, correspondance, documents d’archives, coupures de presse, photographies, dessins, objets personnels, etc.) réparties en une trentaine de boîtes d’archives. Ce fonds reflète la présence constante de l’écriture dans la vie de René-Nicolas Ehni. Il révèle la singularité du travail littéraire de l’auteur, entre accumulation d’apparence chaotique et reprise quasi-obsessionnelle de certains thèmes. Il fait apparaître un style tumultueux, rebelle et inventif, où la langue maternelle, le dialecte alsacien, mais aussi l’allemand et le grec cherchent souvent à jaillir et s’immiscer, tout comme les néologismes et autres « barbarismes » forgés avec jubilation par l’auteur.
La part la plus importante (14 boîtes) rassemble des manuscrits et tapuscrits (pour une part polycopiés) de la majeure partie des œuvres de René-Nicolas Ehni, romans et autres textes narratifs, essais et pièces de théâtre. Parmi ces quelques milliers de feuillets figurent des textes présentant des états antérieurs, des variantes et des reprises différant significativement avec les textes tels que publiés. Il s’agit donc d’un matériau particulièrement riche et intéressant pour l’étude de la genèse des livres publiés, moyennant un travail d’identification et de rapprochement qui s’avère souvent ardu et labyrinthique. Une proportion d’écrits ne présente par exemple ni titre ni date. Le cas des carnets et des cahiers d’écolier qui ont servi de support privilégié à l’écrivain est de ce point de vue représentatif, présentant nombre de fragments d’ouvrages publiés ou s’y raccrochant mais le plus souvent des textes inédits. Cette part non publiée constitue selon Ehni, avec le goût de l’excès et de la provocation qui peut le caractériser, « les 9/10èmes de son œuvre, et souvent le meilleur ». Un certain nombre de carnets relève toutefois du journal personnel et parait a priori indépendant de tout projet éditorial, mais la frontière est parfois mince parmi les écrits d’Ehni et tout est susceptible à un moment de venir nourrir un livre en projet.
La correspondance professionnelle, amicale, familiale et administrative de René-Nicolas Ehni occupe ensuite 5 boîtes. La correspondance reçue de personnalités littéraires (auteurs, critiques, éditeurs…) et artistiques (théâtre, cinéma…) telles Simone de Beauvoir, Cocteau, Rezvani, Béjart, Bianciotti, Moravia, Zefirelli ou Pasolini, donne à sentir l’effervescence intellectuelle et artistique à laquelle Ehni a pu se mêler, en particulier durant ses années italiennes et parisiennes.
Quatre boîtes d’archives rassemblent des coupures de presse et de revues tant sur l’auteur (documentant notamment la réception de ses livres et pièces de théâtre) que d’autres rassemblées par ce dernier sur la culture, la politique et des sujets divers qui ont pu alimenter ses écrits.
Enfin, six boîtes de varia présentent une dimension particulièrement intéressante : outre les affiches et des photographies de pièces de théâtre conçues par René Nicolas Ehni figurent des dessins de sa main, des photographies de l’auteur (souvent jeune), ainsi qu’un ensemble – assez hétéroclite du reste – d’objets personnels : agendas et répertoires, cahiers d’écolier, lunettes, cartes à jouer, bibelots, ephemera…
S’ajoute aux archives stricto sensu la bibliothèque personnelle de René-Nicolas Ehni (du moins la partie qui a pu être rassemblée et conservée), laquelle compte environ 500 documents (livres, revues, documents audiovisuels). La présence de cette bibliothèque dans le fonds permet d’éclairer les références et les influences qui nourrissent l’œuvre de l’écrivain mais aussi, à travers les dédicaces notamment, les constellations littéraires dans lesquelles il s’inscrit.
Le fonds comprend également des archives de la famille de René-Nicolas Ehni (environ 500 documents : correspondance familiale entre 1904 et 1984, documents administratifs) et une boîte d’archives de Louis Schittly contenant de la correspondance (lettres de René Louis Ehni, échanges autour d’un article sur la liberté du journaliste) et une dizaine de textes manuscrits et tapuscrits, parmi lesquels l’esquisse de son film en dialecte alsacien D’Goda (La Marraine) coréalisé avec Daniel Schlosser en 1973. Les autres sont à rapprocher de ses livres Fyirr et Nadala, Conte bilingue [Français/Alsacien] (Éditions du Rhin, 1996) et Dr Näsdla ou Un automne sans colchiques (Éditions Hortus Sundgauviae, 1983) consacré à la paysannerie, ou encore des textes écrits à deux mains avec René-Nicolas Ehni (en premier lieu La Raison lunatique, 1978).
-Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Collections théâtrales. Inventaire du fonds Françoise Darne (scénographe, 1964-2001) / Dossier L’Amie rose (1974, Thamin): lien
-Théâtre national de Chaillot – direction Jack Lang (1972-1974) et André-Louis Périnetti (1975-1981) / Enregistrement de Jocaste (1976 ; Perinetti) : lien
-Eschentzwiller (village natal) : rue du Repos (Voir https://www.dna.fr/culture-loisirs/2020/12/04/grand-format-eschentzwiller-le-paradis-perdu-de-rene-nicolas-ehni)
-Bernwiller : maison du médecin et écrivain Louis Schittly où Ehni a vécu un temps
-Tombe au cimetière de Mulhouse